mardi 14 juin 2011

Courcôme - « Le Petit Village de la Croix Geoffroy » il y a soixante dix ans.

Pourquoi ce nom à rallonge ? Plusieurs fois déjà, on a posé cette question. La proximité du village de La Croix Geoffroy semble l’expliquer et ce nom est explicitement utilisé dans des actes notariés datant de 1673.

De là, comme disait Goulebenéze « Au vent des souvenirs, ce soir, j’ai fait un rêve et j’ai vu refleurir sortant d’un vieux coffret en une heure charmante, autant qu’elle fut brève, le rappel d’un passé que mon village m’offrait »

Oui, j’ai revu ce chemin très étroit qui partait de la grande route pour pénétrer dans ce petit coin. Il était si resserré que les charrettes de foin étaient bien peignées, lissées par les pruniers d’un jardin, d’une part, et le mur de l’autre. L’attelage devait tirer très fort pour se sortir de cet étranglement. Devenant pénible, une situation nouvelle vit le jour. Sous l’instigation du Maire M. Gaston Goumain et l’accord des propriétaires riverains, l’élargissement de cet accès unique se réalisa. Nous avons alors cédé une bande de notre jardin et Denis Moreau laissa démolir un petit bâtiment très exigu.

Dans la foulée de ces transformations, cette voie communale fut goudronnée. Plus de chemin blanc, ni de cailloux, on passait librement.

Empruntant cette voie étroite, on arrivait chez les Segeard Anatole et Léocadie. Petits cultivateurs, ils vivaient sur leur propriété avec quelques bêtes. L’allée, qui s’ouvrait devant nous, faîte de buis bien taillés était fermée par un ancien portail à la ferronnerie bien tournée. Puis au pied de la porte de la maison, poussait un grenadier, arbre curieux et peu commun dans la région. Il portait de gros fruits rouges qui faisaient plaisir à contempler avec étonnement. Anatole avait pour travailler un grand mulet blanc imposant par sa taille. Un jour qu’il était attelé à un râteau, plus leste que son maître, il parti à toute allure, lui faussant compagnie. Il passa entre les coins de mur sans accrocher et s’arrêta à la barrière. Anatole de s’écrier : « Arrête, fais-tu partie de l’aviation, le mulet ? ». Le ton et la chanson en firent une anecdote inoubliable. Impuissance de l’homme en face de l’animal vainqueur.

Aujourd’hui à cet emplacement ce sont M et Mme Texandier qui vous accueilleraient.

Sortant de cette ferme, un peu en retrait nous arrivions chez « la Suzanne » (Ce la n’est pas péjoratif, seulement une coutume)  Flaud de son nom, cette grande femme assez alerte menait au champ son petit troupeau de chèvres et de moutons. Elle « binochait » son jardin et ne faisait qu’une piètre récolte. Passée entre plusieurs mains, la maison, subit des transformations qu’améliorèrent  encore M et Mme Piveteau.

Juste à côté de cette petite et pauvre demeure, j’ai vu vivre, Georges et Marie Flaud, les parents d’Alban. J’ai connu le père, de santé précaire et je revois « la Marie » avec son tablier en sac de jute et son parler étrange. Intrigante cette petite bonne femme car malgré tous ses efforts parlait le patois des abords du Limousin. Eux aussi cultivaient une petite « benasse » et possédaient un mince troupeau de moutons et de chèvres. Marie faisait donc, comme toute femme de maison, du fromage. Elle les faisait sécher dans un petit bâtiment attenant à la maison sur des étagères à sa hauteur, c’est-à-dire assez basses. Un beau jour, elle s’aperçut que ses fromages disparaissaient. Quel pouvait être l’auteur de ce larcin ? Un matin nous nous sommes aperçu que c’était notre petit chien « Bobi » qui filait rapide comme l’éclair vers la route. Le suivant du regard nous l’avons vu se faufiler derrière les grands buis. Il revint sans encombre, fier de sa prouesse. Alors là, nous sommes allés découvrir, le butin de ce caprice canin ! Des fromages entiers et bien alignés. Nous nous sommes empressés de dire à la marie de boucher la chatière du bas de sa porte. La séance fut immédiatement levée et les chabichous restèrent sur l’étagère. Quelle idée de chien !!!

Les Flaud connaissaient seulement les foires de Ruffec où ils allaient faire certaines emplettes et surtout vendre la laine des moutons. Comme tout le monde à cette époque, ils partaient en carriole avec leur chargement. Le marchand de laine, donnait en échange de cette fameuse « laine de pays » qui n’avait subi aucun traitement ; laine à tricoter, appréciée pour les chaussettes. Mais la plus belle sortie extérieure de l’année, c’était la St Barnabé – un peu endimanchés, je les revois partir en charrette « à l’âne » pour fêter la St Barnabé. Cette grande assemblée où, forains, tirs, manèges, confiseurs, et bien d’autres, attiraient  la curiosité de tous ces gens trépignant dans la poussière. C’était « Au bonheur d’un jour ».

Les maisons étaient, et encore aujourd’hui disposées autour d’une petite place, comme si la route s’était élargie. De là, le tambour municipal annonçait les avis du Maire et rassemblait les femmes en priorité. Elles en profitaient pour faire « canton ». oui, c’est ici qu’elles échangeaient les dernières nouvelles et qu’elles les commentaient à souhaits.

Jetant un coup d’œil sur la gauche, une chaumière, où vivait Phillibert Quittet. Célibataire, il n’avait pas de souci pour satisfaire à ses besoins, ses quelques lopins de terre lui suffisaient. Il avait un âne, qui tout à coup faisait entendre ses hi-hans tonitruants et prolongés. Cette bête trimbalait une toison cotonneuse de longs poils emmêlés dégoulinant le long de ses flancs. Son propriétaire d’âge avancé anticipait l’avenir en disant « Que ferons-nous, quand nous serons vieux ? ». Sa mère, c’était la « tisserante » du village. De son métier, se déroulait la toile de chanvre pour la confection des draps, des torchons et des chemises… mesdames, ce n’était point le coton douillet d’aujourd’hui. Les mauvaises langues font encore vilaine réputation à ceux qui existent encore aujourd’hui.

Phillibert avait pour voisins immédiats le vieux couple, Moreau Céline et Gabriel. Ils profitaient d’une façade ensoleillée qui réchauffait leurs douleurs. Ils étaient très âgés et vivaient péniblement, Gabriel avait le cœur fragile et usé. Céline avait un fils et une fille. Elle nourrissait Denis au sein et ma maman a profité comme lui de l’abondance de ce lait maternel. Denis et Antoinette étaient « frères de lait », mais ces pratiques de soi-disant relation fraternelle ne sont plus du goût du jour. Bref, la réalité était là et la bénéficiaire de ce précieux aliment est devenue quasi centenaire à quelques mois près.

Sortant de ce petit « canton » après avoir salué les propriétaires, M. et Mme Gémon qui ont transformé tout ce petit quartier, nous arrivons chez nous.

C’est aussi un très grand changement. Depuis les arrières grands-parents, Jean et Eulalie, marchands de moutons, la maison s’est agrandie pour abriter plusieurs générations. La cour de ferme, depuis longtemps n’a plus connu ces toits faits de bric et de broc. La ferme devint plus importante, exploitée tour à tour par Cailler, Allement et les occupants actuels Pelletier.

En face de nous, toujours là, depuis plusieurs siècles, les Coiteux Raymond vivaient comme les autres avec quelques bêtes. Loin derrière les autres voisins, ils ne connaissaient pas l’électricité. Ils y étaient opposés car disait la « Marie Coiteux » ça brûlerait les yeux. Avec le « challeuil » ils ne risquaient rien. La « Marie », je m’en souviens !!!Avec les moyens du bord, elle était tout de suite prête à me donner quelques gâteries. Je voisinais et je m’échappais sans souci de voir arriver une voiture. Je revenais de ma visite avec une pomme, une poignée de noisettes que je portais précieusement dans le coin de mon tablier. La « Coiteux » était contente et moi aussi. Gaston Raymond, son fils, occupa la maison encore longtemps, seul. Ce célibataire, curieux se cachait pour voir et écouter ce qui se passait. Mais ce défaut ne le rendait pas médisant ; après tout, pour lui, c’était peut être sa seule distraction !!! Ses ânes ne pouvaient lui parler, alors …

Mon tour de piste n’est pas terminé et je poussais la porte grinçante de ma grand-tante Véronique Lavauzelle. Passant par l’écurie, je lui portais très souvent, un peu du repas que ma grand-mère Alice avait préparé. D’une gentillesse naturelle, d’une grande bonté, de temps en temps, elle cherchait avec ses maigres moyens à me faire plaisir.

Le marchand ambulant de légumes, fruits, sardines passait dans le village. M. Duchazeau distribuait sa marchandise aux ménagères qui en avaient besoin et c’est ici que ma tante Véronqiue achetait pour moi soit une pêche, une pomme ou une banane. Elle était si heureuse de me l’offrir !!! Je la revois souriante et son sourire laissait entrevoir une rangée de dents blanches, alignées à la perfection. Elle n’a point connu le dentiste, cette pauvre femme !!! Pour mémoire, c’était la mère d’Hildevert et d’Albéric Lavauzelle. Elle m’aimait bien et moi aussi je l’aimais beaucoup et j’en parle encore souvent avec émotion. Dans cette petite demeure sont venus vivre Léonide et Marie Picaud. Assez rapidement Marie devint veuve avec ses soucis quotidiens. Elle allait en journée pour laver.

Mais elle aidait aussi à la cuisine de cochon. Denis Moreau avait tué la bête, la veille eu matin, et alors c’était tout un cérémonial. Les tripes et les boudins qu’elle enfilait avec maîtrise la rendait indispensable. Les grillons, la graisse étaient mis au feu et cuisaient longtemps. Après plusieurs heures, je la voyais plonger le doigt dans ce liquide bouillant.

-          Marie, tu vas te brûler !!!

-          Mais non, tu vois, elle est cuite, je ne sens rien.

Drôle de thermomètre qui s’avouait infaillible.

Plus âgée, pour nos enfants elle avait succédé à la tante. Ils revenaient en scandant fortement « Picaud, Picaud, gâteaux, gâteaux !!! » On ne peut oublier cette affabilité qui cachait parfois bien des soucis. Marie, tous, nous t’avons aimé !!!

La femme de Denis Moreau, Odette, a laissé le voisinage dans la tristesse, emportée par un mal sans rémission.

Voici notre village, plus peuplé autrefois qu’aujourd’hui. Un peu éloigné du centre « le Bourg », nous sommes la petite banlieue, le faubourg. Ne nous laissons pas oublier, je ne dirais pas ignorer, car nous faisons partie de cette communauté. Souvent les nouvelles ne viennent pas jusqu’à nous mais il faut reconnaître qu’il en est de même pour les autres panneaux d’affichage. Ils sont tous si pauvres en informations intéressantes et ce quand ils existent encore.

Nous aimons notre « Petite Village de la Croix-Geoffroy ».

Nous avons notre fierté et nous devons tous penser

                Qu’il a été

                               Qu’il est

                Qu’il sera dans les jours à venir.