jeudi 13 janvier 2011

Une poupée m’a dit,

J’étais une anonyme parmi de nombreuses amies, minutieusement installée par des mains habiles et expertes dans une vitrine richement ornée de tentures aux tons pastels pour faire ressortir les couleurs de nos beaux atours.

Je me souviens que ce beau magasin se situait dans le quartier des « Grands Hommes » à Bordeaux. Que de beau monde j’ai vu défiler !!!

Certains portaient sur moi, un regard admiratif, j’en étais très fière et j’aurais aimé tendre les bras, faire un clin d’œil, mais je devais rester immobile.

J’étais souriante et avenante dans mon beau jupon ample, froncé à la taille de couleur bleu nuit. Un corselet en dentelle garnissait le haut de mon corps. Mes beaux cheveux bruns bouclés étaient partiellement cachés sous une capeline garnie d’une petite plume d’autruche. Mes jambes gainées de bas blancs étaient serrées au-dessus de la cheville par des bottines à lacet. J’exhibais la mode de l’époque. Tout compte fait, je me trouvais belle demoiselle. Seule satisfaction, car la vie devenait monotone malgré les regards de la rue. Rien… Rien, je pensais finir ici. Quelque fois il m’arrivait de rêver que j’étais adoptée. Les jours passaient ainsi.

Comme dans un conte de fée, un jour de froidure, enveloppée dans un manteau de fourrure, gantée, toque également en fourrure, une belle dame me fixa avec un regard insistant. L’élégante allait venait devant la vitrine puis revint en face de moi. L’air décidé apparemment fixée sur son choix, elle entra dans cette boutique de luxe. Elle me montra élégamment et voulut me voir de plus près. La vendeuse, connaissant son métier ne tarissait pas d’éloge à mon égard. Cette dame fut conquise. J’allais être libre, choyée, caressée et tous mes désirs allaient devenir réalité.

Je fus emballée avec précaution, soulignant bien à cette vendeuse que j’allais voyager. Livrée à domicile, j’attendais avec anxiété mon expédition. Madame et son chauffeur m’emmenèrent à la gare où des tampons furent appliqués sur toutes les faces du colis. J’allais donc prendre le train.

Je fus ballotée jusqu’à Angoulême puis arrêt final à la petite gare de Salles-Moussac. A la descente, le facteur Hildevert me pris en charge. Attachée à son guidon de vélo, j’étais balancée à chaque coup de pédale. Cet homme me remit entre les mains de ma destinataire.

Avant d’ouvrir le colis, on l’inspecta, le retourna pour lire le nom de l’expéditeur. Oui, c’était bien Madame Delagrange qui me faisait cette belle surprise.

Déballée, je connus une explosion de joie, des cris, je vis des yeux pétiller de bonheur. Non, elle est trop belle disait-on autour de moi. Les vêtements, les cheveux, les bottines, tout était sujet d’admiration. Puis, j’entendis une voix dire à ma future petite maman : « Tu vois Antoinette, tu devras la manipuler avec précaution pour la garder belle et intacte très longtemps ». Je me posais quelques questions !!! Toutes ces recommandations empêcheraient-elles que l’on me dorlote, que l’on me pouponne, que l’on me serre dans les bras ?

Ce ne fut pas le cas, mais on s’occupait de moi avec crainte – j’étais trop belle. Heureuse dans cette famille Antoinette grandit et me plaça dans sa chambre, seulement pour me parler et me regarder de temps en temps. Que vas-tu devenir pauvre Colette me disais-je ?

La génération suivante me prit en main. Ma nouvelle maman s’occupa de moi toujours très précautionneusement. Assise près de la vieille pendule, j’avais toujours droit à des attentions particulières.

Un beau jour, venant de Paris et expédié par la tante Louise arriva un petit baigneur. Cet être indésirable me rendit jalouse. Que venait-il faire ici avec ses vêtements bleu ciel, barboteuse, gilet et bonnet à pompon qui couvraient un corps en celluloïd ? On lui accorda toutes les faveurs. Ma fureur grandissait quand on le berçait dans les bras, car lui il était le petit Paul, le chouchou, tout nouveau, tout beau. Je le reluquais d’un œil méchant. Personne ne pouvait soupçonner l’idée de mépris, de vengeance qui m’habitait. Pauvre Tante Louise, pour moi c’était le diable en personne que tu avais envoyé, toi aussi je t’en voulais d’avoir eu cette idée. Mais que faire sinon subir non sans espérer qu’une mauvaise chute aurait raison de lui.

Mon souhait se réalisa et le fameux intrus ne survécut pas aux manipulations intempestives des jeunes mains. Là, je riais, me réjouissait d’avoir pu assister à ce déclin.

J’étais encore présente quand apparut la génération suivante ; la troisième à ma connaissance. Alors, on me trouva un peu vieille et ne voulant surtout pas que je subisse un mauvais sort, on me mit à la place d’honneur dans la plus belle pièce de la maison. Cette place me permettait de tout voir et tout entendre. J’étais devenue une pièce de collection mais j’observais les nouveaux venus en la personne d’une petite fille et d’un garçon.

Ma succession fut assurée auprès de Véronique par une très grande fille en plastic aussi grande que sa petite maman. Elle la prénomma Brigitte.

Brigitte était heureuse dans ses bras, elle faisait l’élève tantôt attentive, tantôt dissipée. La jeune maîtresse, la punissait, la consolait. Ces démonstrations maternelles me faisaient réfléchir sur mon âge, mon impuissance.

Un jour je fus horrifiée de voir le grand-frère prendre une seringue et transpercer cette pauvre Brigitte de part en part.

Sous prétexte qu’il était docteur, il avait bien le droit de la soigner. Ces piqûres étaient en réalité des « gunes » Pourquoi ? Ce langage mystérieux effaçait-il l’idée de douleur ?

J’observais cette petite maman qui acceptait difficilement ces soi-disant soins indispensables. Un soir, elle se fâcha violemment et renvoya son frère découper dans son propre nounours tout ce qu’il fallait pour se faire des moustaches. « Occupe-toi de tes affaires et laisse les miennes !!! »


Mon âge m’interdisait toute intrusion dans les disputes, mais bien sûr en moi-même je soutenais la petite Véro !

Tout le monde ayant bien grandi, je gardais toujours ma place dans ma maison d’accueil. Puis maman Véro m’a pris sous son aile, pas question de me maltraiter !

Aujourd’hui centenaire, je n’ai qu’un souhait : Qu’on m’aime encore et que l’on me fasse une nouvelle belle toilette. Je retrouverai ainsi ma jeunesse pour affronter le 21ème siècle.