lundi 14 juin 2010

Le sacrifice du cochon

Mamie, dis-moi, à la foire agricole j’ai vu et caressé un petit porcelet tout rose, tout doux, on aurait dit de la soie. C’était mignon et tellement joli !!!



- Ma petite Alice, ce petit trésor de douceur que tu as eu dans les mains va devenir le porc que l’on qualifie de sale, de glouton – on le nomme le cochon.

Je vais te raconter comment le jour venu quand il était bien lourd et bien gras sa vie se terminait. Cette coutume séculaire était dans toutes les fermes, car le cochon fournissait une grande partie de la nourriture familiale.
On procédait ainsi – les jours froids sévissaient, la saison était propice, alors on demandait à un voisin Denis Moreau pour le tuer.
Denis Moreau

Cette pauvre bête innocente, à jeun depuis la veille, dormait dans son « toit ». Alors, la longe (corde) à la main on s’approchait pour la lui passer derrière les dents en crochet ; manœuvre délicate car la bête n’était pas facile. Une autre longe serrait la patte arrière droite et ainsi, notre gros « goret » était traîné au lieu de sa mort.
Les hommes le couchaient sur le flanc.
- Et alors, Mamie ??
C’est maintenant le point crucial de l’opération. La bête calmée et maintenue à l’avant par le piquet où la corde était attachée ainsi qu’à l’arrière allait recevoir le coup fatal. Muni d’un couteau bien aiguisé, le tueur sans hésitation enfonçait la lame dans le cœur. La fermière était prête la poêle à la main, la bassine près d’elle, à recueillir le sang. Le précieux liquide jaillissait; une autre femme, les manches retroussées, le brassait sans arrêt pour éviter la coagulation.


On s’assurait que le cochon était bien mort – on le débarrassait alors de ses liens. On le déposait entre deux couches de paille afin de le griller.
- Pourquoi, il va brûler ?
- Non, ma chérie.
Ce feu tout à fait éphémère brûlait les soies, tous ces poils devenus durs. On les raclait, la peau (la couenne) devenait impeccable sous une odeur de grillée. On retournait la bête et l’opération recommençait. On approchait une échelle pour poser l’animal dessus.
On y attachait les pattes de derrière à hauteur convenable et on la mettait debout le long d’un mur. Là, après avoir enlevé les entrailles la victime était livrée à la fraîcheur de la nuit.

Le lendemain, diverses manipulations se succédaient et les femmes allaient embaucher leur travail.
Les hommes fendaient la bête en deux avec un hachereau, un marteau – parfois une scie – après avoir ouvert le ventre.
- Mamie on devenait méchant pour manger ?
- Bien sûr, on peut dire comme ça, mais il fallait et il faut toujours se nourrir !


Poursuivons, car ma petite Alice, l’aventure ne s’arrête pas là.
Les tripes étaient remises dans un panier garni d’un torchon pour les emmener à l’eau courante, les vider et les nettoyer.
Pendant ce travail assez dur, car aussitôt sorties de l’eau les mains étaient glacées (on était grape). La tête nettoyée, privée de ses oreilles et de son museau, cuisait dans une marmite avec un morceau de gorge pour faire les boudins.
La plus grande partie des déchets avait été jetée sur le tas de fumier. L’eau courante du Bief à Magnez se chargeait d’emporter le reste. Tout ça pour le gros intestin. Le petit était vidé, nettoyé, et détourné pour le racler avec deux petites aiguilles à tricoter attachées ensemble. La peau intérieure cédait à la pression de ce petit engin de fortune. Ainsi dépouillée, la tripe servira à la confection des boudins.
- Des boudins ? comment cela se cuisine ?
Oui, avant de commencer la mise en boyau on soufflait pour vérifier s’il n’était pas percé – régal des enfants qui s’imaginaient alors gonfler des ballons de baudruche. Quand la viande était à point on la passait au hachoir avec les échalotes, le persil et on mélangeait le tout au sang.


On obtenait une bouillie assez consistante que l’on enfilait dans le boyau avec « l’ouillette à boudins ». Une autre personne était mobilisée pour les former en les attachant avec une ficelle. Si le boyau était long et intact, on disait qu’il avait fait une belle « trochée ».
Cette dernière était plongée dans le bouillon préparé qui devait alors être seulement frémissant.
- Pourquoi ?
- Pour éviter qu’ils éclatent.
Malgré les précautions prises pour la cuisson des boudins certains éclataient, libérant ainsi leur contenu dans le bouillon. Ce « bouillon roulloux » se partageait avec les voisins accompagné de quelques boudins.
- Pourquoi Mamie ?
- C’était la coutume – on s’entraidait, on partageait.

C’est au tour des andouilles. On emboitait les boyaux dans des plus gros, ainsi que l’estomac en petit morceaux – on les mettait dans un pot de grès avec du sel. Là, elles attendaient la fin de la cuisine.

Les cuisses étaient destinées à la fabrication des jambons.
Les jambons bien égouttés étaient frotté à l’eau de vie, sel, poivre et épices. Puis on les enfermait dans un linge enfouis dans une couche de gros sel. On serrait bien la toile ou bien on la cousait. Ainsi habillés, ils étaient enfouis dans une caisse sous la cendre. Ils restaient là autant de jours qu’ils pesaient de livres.

On découpait la viande en carrés, ainsi que le lard que l’on mettait à fondre dans la chaudière en fonte avec un peu d’eau pour faire des grillons.
Une voisine trop âgée pour le travail de découpe ou le lavage des tripes (Marie Picaud), restait assise devant le chaudron pendant plusieurs heures car il ne fallait cesser de brasser. La cuisson était déclarée terminée quand elle trempait son doigt dans la graisse et qu’elle ne se brûlait pas.

Marie Picaud

On découpait de grosses côtelettes que l’on mettait quand le reste était fondu pour faire des « gros grillons ».
De la viande et du foie étaient préparés en pâté. A ce moment là tout était mis en pot de grès et se conservait très bien.
Dans le saloir ou « pinate » on disposait les pattes, la queue, des morceaux de poitrine, de palette après les avoir frottés généreusement de gros sel. Les couennes, enlevées de la viande subissaient le même sort en attendant la potée de « mongettes ». Miam-Miam diront certains. Beurcq, diront les autres. Ils ne savent pas ce qu’ils perdent !
L’andouille un peu dessalée se consommait sur le gril. A ce propos, ma chérie, je vais te raconter une petite anecdote qui vient de loin dans le temps.
La veille de Pâques, ayant fait des recommandations à son petit garçon, une femme d’une commune voisine s’en alla à l’église se confesser. Tout d’un coup, comme une furie, l’enfant se précipita :
M’man, viens vite !! vite !!!
Chut, chut, tais-toi, dit le curé
Y a pas de chut-chut qui tienne, faut que ma mère vienne l’andouille est « petée ».
Bien sûr, on s’amusa de cette anecdote qui fit le tour du village. On en parle encore !!!
Alors, tout au long de l’année on dégustait ces bonnes victuailles.
Remarque singulière et caractéristique, la famille qui venait de la ville ne pensait plus que le porc était un animal sale qui sentait mauvais.


1 - Jambon 2 - Jambonneau 3 - Pied 4 - Pointe 5 - Filet
6 - Carré 7 - Echine 8 - Palette 9 - Travers de côtes
10 - Plat-de-côtes 11 - Gorge 12 - Poitrine 13 - Epaule 14 - Tête