vendredi 11 février 2011

Mon œil à Courcôme

Il est vieux, mon œil et dit-il, il a vu se dérouler ¾ de siècle et des événements heureux et malheureux.

Mon œil, il a vu le bourg peuplé d’habitants qui vivaient leur vie durant dans la même maison de père en fils, arrière grands parents, parents, enfants, grands parents. La mort frappait beaucoup plus jeune et fréquemment à 75 ans c’était le grand âge.

Mon œil, il a vu au Petit-Village de la Croix-Geoffroy 9 toits et 33 habitants. Aujourd’hui, 12 résidents et 4 occasionnels.

Mon œil, il a vu, très intéressé, les plus âgés distribuer des friandises quand on allait les voir, du temps où l’on « voisinait ».

Mon œil, sans se poser de questions, regardait circuler les femmes en cotillons noirs. Cette tenue triste était recouverte de la fameuse devantière pour éviter les salissures.

Mon œil, il a vu travailler dans les champs les bœufs ou vaches au pas lent, les ânes indociles et les mulets. Ils tiraient à plusieurs des instruments rudimentaires.

Qu’a-t-il donc vu, mon œil, après avoir admiré les volutes blanches des locomotives à vapeur sifflant comme pour nous saluer à leur passage.

Et bien, mon œil a vu les premiers trains électriques. De là, on a vécu tranquilles ne craignant plus les incendies que laissaient derrière elles, les escarbilles enflammées. Auparavant on avait peur, très peur !!!

Mon œil, il a vu, les garde-barrières de la maisonnette de Gensac ouvrir aux usagers entre deux trains signalés par une sonnette. Les cheminots qui manipulaient à la force de leurs bras, les tronçons de rail.

Mon œil a vu, tout étonné, les routes blanches devenir des routes goudronnées qui rejoignaient les différents hameaux.

Curieux, mon œil, toisait ce grand bonhomme, une plaque au bras qui surveillait les bergères. C’était le garde-champêtre qui pouvait verbaliser, annoncer les nouvelles de la Mairie à coup de tambour ou de clairon, faire le feu des écoles après avoir scié le bois.


Quel est cet homme qui marche, la pelle et la pioche ou le croissant sur les épaules ? C’est le cantonnier, répond mon œil, il est parti faire des saignées ou élaguer les palisses. On admirait son courage et on se posait des questions sur l’ampleur de sa tâche car à cette époque il exerçait les mêmes fonctions que le garde-champêtre, en plus bien sûr !!!

Horrifié, mort de peur, mon œil a vu l’incendie qui se déclara après un court-circuit de la batteuse dans la cour de la ferme Mangon.

Mon œil, il revoit toujours ces petites fermes alignées du Petit-Village aux Brelières qui vivaient avec quelques hectares. L’élevage se réduisait à quelques vaches et moutons, une chèvre et des volailles pour nourrir la famille. La batteuse pénétrait dans les cours pour attaquer les gerbiers tirée par les hommes qui venaient « battre ».
                                         
Le cochon, oh mon œil, ne voulait pas voir le jour de la tuerie. Pauvre bête !!!

Mon œil, il a vu les grandes foires à bestiaux de Ruffec. Les goronnières emportant les porcelets et les agneaux. Les paysans se taper dans la main pour sceller le marché.

A Tusson, c’était la foire des chevaux et mulets du Poitou réputés jusqu’en Espagne.

Mon œil, mais il se souvient et revoit comme si c’était hier, les enfants qui arrivaient à pieds à l’école. Ceux des hameaux apportaient leurs « perbandes » pour déjeuner. Ils rentraient en rang, le bonnet à la main devant le regard exigeant de M Gros. De leur côté, les filles saluaient Mme Elie qui les accueillait toujours souriante. Mon œil, il savait très bien que M Gros n’était pas tendre, n’est ce pas, vous, messieurs les anciens ?

Mon œil, il regardait en passant les artisans à leur poste qui a maintenant disparu : le bourrelier, le forgeron…

Mon œil, il a admiré ces familles nombreuses dont les enfants ne savaient qu’obéir sans se rebeller, aidant sans grande récompense.

Mon œil, il a vu revenir des champs les cultivateurs qui répondaient à l’appel des cloches électrifiées sonnant l’angélus.

Mon œil n’a pas été surpris de voir la mare se combler, elle n’avait plus son utilité première : abreuver les animaux.

Depuis 1942, M Elie Maire avait établi un réseau d’adduction d’eau. Le château se remplissait à partir de la Fontaine au moyen de pompes électriques.
                                                                               
Oh là là, qu’il était émerveillé mon œil quand la frairie battait son plein. Il y en eu 2, une en juillet et l’autre en octobre. Seule celle de juillet subsista et là c’était la fête.mon œil ne s’ouvrait pas assez grand pour admirer toutes les lumières de différentes couleurs, les tirs et leurs étagères peuplées de petits animaux de rêve, les berlingots multicolores, les grandes sucettes plates ou rondes, les chevaux de bois où montaient et descendaient les bêtes de la ferme et quelques autres modèles.


Les jeunes et moins jeunes se bousculaient à l’entrée du parquet pour aller danser les danses du moment. La musique envahissait la place, tout le monde se parlait, riait de tout et de rien en piétinant tout un après-midi.

Mon œil, il a vu applaudir la course au sac, à l’âne, à la brouette, les courses cyclistes. Le lendemain de la frairie c’était le jour des enfants.

Mon œil, il a regardé maintes et maintes fois, un feu d’artifice éblouissant. On venait le voir, depuis les villages voisins. Les fusées, les feux de Bengale, les bombes, les soleils et le bouquet final illuminaient le Champ Chotard de leurs couleurs étincelantes.

Mon œil, dis-nous ce que tu as pu voir encore ?

Et bien, j’ai vu les premières voitures et les premiers téléphones dans la commune.

Rapport de 1926

J’ai vu les interminables processions du pèlerinage au mois d’août. Grande et fastueuse cérémonie pour laquelle l’église Notre-Dame de Courcôme se parait de ses plus belles décorations. Les oriflammes et les lustres attiraient les regards. Dans la procession qui partait de l’église, par le château d’eau pour arriver en face de l’actuelle boulangerie, défilaient les bannières des différentes paroisses venues en voisines et retentissaient les cantiques en l’honneur de Notre-Dame.

                       
Les équipes de foot, mon œil, il les a vues se former, s’agrandir et enfin disparaître.

Mon œil était présent à la salle Gabit (maison Segeat) pour admirer les évolutions des acteurs amateurs. Les jeunes dansaient au son d’un vieux phono dont M Gustave Mollé avait la clé. Il était toujours jeune ce monsieur car il a longtemps sonné du clairon dans la fanfare qu’il avait créée. C’était tout à son honneur de la faire défiler pour la retraite aux flambeaux de la frairie marquant le pas aux porteurs de lanternes.


N’a-t-il pas vu mon œil, les noces villageoises étaler les costumes d’autrefois sous les regards ébahis et un peu moqueur des plus jeunes.

Noce villageoise dans les années 20-30
Mon œil, il a vu pleurer des familles qui accompagnaient au cimetière leurs enfants, leurs maris suite à de terribles accidents. Le sort s’acharnait-il sur notre village ? Car on a compté des accidentés, des noyés en nombre trop important pour notre commune.

Qu’il ne fût pas beau à voir, dit mon œil, l’incendie de la boulangerie.

Mon œil, à deux reprises a du se pencher sur le cadastre pour essayer de déchiffrer les toutes petites parcelles du 1er remembrement. Puis il a recommencé a subir la vue des transformations dans les différentes parcelles. Souvent mon œil, il aurait voulu que l’on crie à l’injustice. Mais il restait catégoriquement sans pouvoir et devait se fermer !!!

Mon œil, était là, pour l’installation de la Poste, le déménagement de la bascule, l’usage du « Logis du Bourg » en salle des fêtes, l’arrachage du vieux marronnier et la disparition du pigeonnier.


C’est par une toute petite allée bordant le Champ Chotard que mon œil voyait les gens aller à la cure après avoir frappé avec le marteau de la petite porte. Les ondes se propageaient et faisaient aboyer le petit chien de Mlle Léonie qui venait leur ouvrir.

Mon œil, toujours mon œil, a vu la commune exercer son droit de préemption au moment du remembrement. De là, s’est ajoutée dans le paysage actuel, l’allée bordée d’arbres qui conduit d’une part à l’ancienne cure et à la salle des fêtes. Alors mon œil voit que les agriculteurs peuvent eux aussi en retirer une certaine fierté, ils y possèdent une infime partie de leur patrimoine ; puisque du patrimoine on en parle à tour de bras et Dieu merci on essaie de mettre en valeur le peu qu’il en reste.

A bientôt. Mon œil, il a encore vu…