lundi 20 décembre 2010

Les moissons

Ma petite Alice,

Voici le grand été, le soleil est très haut dans le ciel et chauffe très fort. On entend les épis crépiter ; ils chantent la « chanson des blés d’or ». On s’affaire dans les fermes – les « Brioux" sont affûtés.

couple de faucheurs avec son"briou"
Les tiges de céréales tombaient en rang et derrière les femmes faisaient les javelles qu’elles attachaient avec un lien en paille noué savamment de leurs mains.

Ces gerbes seront mises ensuite en « quintaux » tas où les épis se dressaient vers le soleil alors que la base de la javelle reposait à terre. Le séchage s’affinait ainsi jusqu’à la rentrée en gerbier. Ce n’est qu’au XXème siècle bien entamé que la moissonneuse lieuse apparut.

Une moissonneuse



Cet instrument fut fort apprécié mais c’était pour les débutants un vrai travail de montage : il fallait installer des toiles sur le tablier (gare à ne pas les mettre à l’envers) pour que les épis coupés par la scie, à l’aide de râteaux arrivent jusqu’au lien automatique qui formait les gerbes.

Auparavant, on devait installer la grosse roue motrice qui actionnait tout l’ensemble. Cette moissonneuse n’était pas en même position au travail et sur la route. Là, elle était en longueur et au « tail » dans le sens de la largeur. Elle était tractée par 3 bons chevaux.

Pour ne pas gaspiller le grain au passage de la machine on préparait un passage « au briou ». Déjà on s’était modernisé et pour ce travail on n’était pas obligé de mobiliser du personnel.

Souvent entre voisins on s’aidait, celui qui n’avait pas de moissonneuse fournissait le 3ème cheval.

Derrière cette lieuse les gerbes tombaient régulièrement et on formait les tas en suivant. Travail des femmes et bien souvent des enfants qui n’étaient pas sans maugréer car ils étaient en grandes vacances. Peut-être aurait-il fallu leur rappeler qu’elles avaient été instituées à cette époque afin d’aider à leurs parents. C’était en 1922.

Finies les moissons, il fallait rentrer la récolte en attendant les battages.

Les grosses charrettes arrivaient à la disposition des bras vigoureux qui montaient les gerbes en hauteur pour être rangées soigneusement par une autre personne.
Courcôme - rentrée des gerbes août 1961
Cahin-caha on entrait dans la cour de la ferme et on s’attelait à faire le « gerbier ». En bas de ce futur gros tas, on s’amusait presque à jeter les gerbes au pied du façonneur.

Mais plus on en mettait, plus l’affaire s’avérait difficile. Tout à fait en haut, on devait pour passer la gerbe se mettre sur une échelle sur laquelle on s’appuyait fortement. Exercice un peu périlleux. On était heureux au moment de coiffer le gerbier avec les dernières gerbes. On avait alors gagné.

Là, ces gros tas resteront jusqu’à ce qu’ils soient battus.

- J’ai bien écouté ton récit, mamie, je ne pouvais imaginer un tel déploiement de travail autour des récoltes, autrefois. Je regarde les moissonneuses batteuses, ces gros engins qui galopent dans les champs. Derrière elles tout est fini. Certaines broient même la paille ; là, c’est le grand saut dans le progrès !!!

- Chez nos aïeux, on se réunissait, on mangeait ensemble, pause bien méritée après avoir manipulé la faux, des heures durant. C’était le moment où la maîtresse de maison portait le déjeuner aux moissonneurs. Sans fantaisie, et sans souci d’hygiène exagéré, elle sortait le « fricot » d’un torchon bien lessivé. Chacun y allait de son couteau tiré de la poche et taillait dans le gros pain, de longues tartines. Inséparable, on l’essuyait à la jambière de la culotte avant de le fermer.

Les œufs durs, les grillons, du salé froid et du fromage étaient du menu. On arrosait tout çà avec un peu de vin ou de la piquette. C’était convivial ce repas improvisé pris assis à « cul-piat » dans les champs.

- Et le travail reprenait ?

- Oui, jusqu’au soir bien tard. Mais dans l’après-midi, on faisait « collation » en mangeant les quelques restes du midi. Le sommeil d’une nuit tranquille, permettra de recommencer le lendemain. Peut être que nos moissonneurs allaient rêver, se voyant tout en sueur s’essuyant du revers de la main, dans l’odeur de la transpiration et de la paille coupée.
Moisson mécanisée - Courcôme août 1960