mardi 28 décembre 2010

Une évocation du temps des moissons en 1944

De tous les travaux faits par les grandes personnes, ce qui me plaît le plus, c'est de les voir faucher un champ de blé.
Les hommes, portant chacun leur outil sur l'épaule, prennent place de grand matin en lisière du champ, éloignés les uns des autres d'environ quatre mètres. Sans se presser, après avoir donné un dernier petit coup de pierre à affûter sur les lames brillantes, ils se mettent à l'ouvrage.
Leur taille se balance au rythme du va-et-vient des faux, ils avancent régulièrement et les blés tombent tous du même côté, à gauche du faucheur.
Lorsque les hommes se sont un peu éloignés, les femmes interviennent. Elles relèvent les blés, les rassemblent en gerbes, et en quelques heures le champ est moissonné.
Bien liées par groupes de cinq, les gerbes ressemblent de loin à des groupes d'enfants en train de comploter. A quel mystérieux conciliabule les blés se livrent-ils donc au soleil couchant ?
Parlent-ils de leur merveilleux destin qui les transformera demain en nourriture pour les habitants de la Terre ?
Parlent-ils du fabuleux bonheur que connaîtront ceux qui recevront la consécration du Pain partagé ? Pensent-ils que le choix des hommes se portera sur les plus beaux d'entre eux pour les rendre à la terre sous forme de semence ?
Oui, c'est de cela que parlent les gerbes blondes et dorées serrées au crépuscule les unes contre les autres. De tous les travaux d'hommes, je n'en connais pas de plus beau que celui-là.

Extrait du livre Bye Bye Geneviève ! écrit par Geneviève Duboscq Collection "Vécu" de Robert Laffont